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Le pacte d’actionnaires et vous

L’intervention d’un nouvel actionnaire dans la vie de la société se matérialise souvent par la conclusion d’un pacte d’actionnaires.

Signer un pacte d’actionnaires au Maroc peut arriver une fois ou deux dans une vie professionnelle de dirigeant d’une entreprise. A l’inverse, on retiendra que les investisseurs institutionnels ont pour métier la négociation des pactes d’actionnaires.

Un chef d’entreprise quel que soit son niveau d’expertise, est donc totalement désarmé face à un partenaire expérimenté qui peut lui présenter un document intimidant (pouvant aller jusqu’à une centaine de pages), en lui faisant croire qu’il est l’instrument de protection des intérêts des actionnaires par excellence.

L’objet de ce billet est d’attirer l’attention sur le fait que si le développement de la société au Maroc est le rêve de tout dirigeant, la signature d’un pacte d’actionnaires peut virer au cauchemar, surtout, lorsque sa négociation est menée par le dirigeant seul sans véritable compréhension des implications juridiques et financières de son contenu et quand bien même le chef d’entreprise conserverait sa position d’actionnaire majoritaire.

Parce que les intérêts de l’actionnaire et de l’entreprise marocains sont en jeu, il est important de savoir qu’un pacte d’actionnaires engageant des actionnaires marocains peut être détourné de sa fonction d’outil de gestion de la relation entre associés d’une société commerciale, et s’avérer n’être qu’un piège tendu aux fins de domination et de prédation par des sociétés étrangères. Le résultat peut être catastrophique, susceptible de vider la société de ses ressources, rendre très compliquée la résolution des conflits entre actionnaires par la voie judiciaire avec le risque de mener à la faillite de l’entreprise.

Un pacte d’actionnaires qu'est-ce que c'est ?

Un pacte d’actionnaires est un contrat qui définit l’ensemble des droits et obligations d’un actionnaire d’une société anonyme.

Statuts de société et pacte d’actionnaires : comment faire la différence ?

Les statuts d’une société ne sont pas autre chose qu’un pacte d’actionnaires et c’est pourquoi il est plus précis d’utiliser les vocables pacte statutaire et pacte extrastatutaire pour désigner les pactes d’actionnaires conclu en marge des statuts. Alors que les statuts engagent nécessairement tous les actionnaires entre eux, le pacte d’actionnaires extrastatutaire à la particularité d’engager tout ou partie des actionnaires entre eux. Ainsi, il est possible au sein d’une même société que certains actionnaires d’une société soient liés par un pacte extrastatutaire sans que les autres actionnaires de cette même société ne le sachent. Le pacte statutaire comme le pacte extrastatutaire sont des outils contractuels de la gestion de la relation entre associés d’une société commerciale. L’efficacité de ces documents est au cœur de la pérennité de l’entreprise. En effet, l’entreprise est menacée de disparaître en cas de désaccords entre les associés et ce risque est aggravé lorsque les textes sensés résoudre les désaccords sont contradictoires entre eux.

Pourquoi écrire un pacte extrastatutaire ?

Les statuts doivent fixer toutes les règles applicables aux actionnaires quant à leur participation dans le capital, dans la gestion, les conditions de vente des actions et les solutions en cas de désaccord. En ce sens, les statuts sont l’instrument juridique fondamental pour la protection des actionnaires en cas de désaccord car ils pourront s’y référer pour résoudre leurs différences.
Dans ce contexte, il y a lieu de s’interroger sur les raisons de définir des règles supplémentaires applicables aux actionnaires d’une même société dans un document différent des statuts. Une fois ces raisons identifiées, se pose la question de la cohérence de l’ensemble formé par les statuts et le pacte d’actionnaires.

On peut recenser au moins deux raisons possibles d’écrire un pacte extrastatutaire:

  • Première raison: écrire des règles additionnelles aux statuts non prévues par la loi:

    Il s’agit d’une situation assez fréquemment rencontrée dans les pactes extrastatutaires impliquant des sociétés étrangères ayant l’habitude d’utiliser des concepts juridiques méconnus du droit marocain.

    Parmi ces concepts, on peut trouver en particulier deux grandes catégories de clauses : les conventions de vote d’une part, et les pactes qui aménagent la qualité d’actionnaire, en particulier celles portant sur l’exclusion de la société ou le maintien forcé dans la société, d’autre part. 

    Ces clauses méritent à elles seules de grands développement dont il ne peut être question ici.

    Il est important de noter que les dispositions non spécifiquement prévues par la loi peuvent être contradictoires avec la loi marocaine et exposer le pacte extrastatutaire à la nullité, ce qui est une sanction grave puisqu’elle remet en cause la totalité de l’accord et de ses effets et que seul un juge peut prononcer.

  • Deuxième raison : écrire des règles contradictoires avec les statuts.

     Peu de cabinet de conseil avoueraient qu’un pacte extrastatutaire s’avère être l’ outil parfait de détournement du pacte statutaire (statuts).

    Pourtant nombreux sont les cas où un pacte extrastatutaire est le lieu de réécriture des règles pourtant claires déjà fixées par le pacte statutaire.

    Le recensement des illustrations de notre propos nécessiterait l’écriture de livre entiers. On se contentera ici de donner quelques exemples simples de clauses de pacte extrastatutaires qui contredisent les statuts, notamment en ce qui concerne le fonctionnement du conseil d’administration, le vote des décisions stratégiques, la rémunération des administrateurs, la distribution de dividendes.

Le recensement des illustrations de notre propos nécessiterait l’écriture de livre entiers. On se contentera ici de donner quelques exemples simples de clauses de pacte extrastatutaires qui contredisent les statuts, notamment en ce qui concerne le fonctionnement du conseil d’administration, le vote des décisions stratégiques, la rémunération des administrateurs, la distribution de dividendes.

Fonctionnement du conseil d’administration

Il peut ainsi arriver qu’un pacte extrastatutaire dispose que les décisions importantes sont prises à la majorité simple avec droit de vote prépondérant (sorte de droit de véto) d’un administrateur déterminé alors que les statuts prévoient que les décisions importantes sont prises à la majorité simple des administrateurs présents sans préciser qui détient un droit de véto. Comme la loi prévoit qu’en cas de silence des statuts, le président du conseil d’administration détient le vote prépondérant on comprend que les règles posées par les statuts et par la loi en relation avec le titulaire du droit de vote prépondérant sont en totale contradiction avec celles édictées par le pacte extrastatutaire.

Rémunération des administrateurs

Les pactes extrastatutaires peuvent parfois prévoir une limitation pour la rémunération annuelle des administrateurs alors que les statuts ne prévoient pas de disposition à ce sujet. Il faut savoir que le principe légal prévoit qu’il revient à l’assemblée générale ordinaire d’approbation des comptes d’allouer aux membres du conseil d’administration, à titre de jetons de présence, une somme fixe annuelle déterminée librement, que le conseil repartit proportionnellement entre ses membres. On comprendra d’emblée que l’application des dispositions d’un tel pacte extrastatutaire a pour effet de priver l’assemblée générale de son pouvoir de décision relatif à la rémunération des administrateurs, ce qui n’est pas autre chose qu’un détournement de la loi.

Décisions importantes

Le pouvoir de modifier les statuts revient à l’assemblée générale en application de la loi. Certains pactes extrastatutaires prévoient à l’inverse de confier au conseil d’administration, le droit de prendre des décisions importantes parmi lesquelles se trouvent le pouvoir de modifier les statuts et l’augmentation de capital.

De telles clauses vont à l’encontre de l’article 110 de la loi sur les sociétés anonymes qui stipule que l’assemblée générale extraordinaire est la seule habilitée à modifier les statuts dans toutes leurs dispositions et toute clause contraire est réputée non écrite. De même, l’article 186 de la loi précitée dispose que l’AGE est la seule à avoir le pouvoir de décider d’une augmentation de capital.

Le lecteur comprendra que l’application de telles dispositions extrastatutaires a pour effet de :

  • D’une part, priver l’assemblée générale extraordinaire de son pouvoir de décision relatif à la modification des Statuts et à la modification du capital.
  • D’autre part, permettre à l’investisseur le contrôle total du conseil d’administration par un actionnaire minoritaire.

De ce fait, le pacte extrastatutaire peut réaliser un véritable piratage des organes de décisions de la société en réalisant l’exclusion pure et simple d’un actionnaire historique.

Distributions des dividendes

Il arrive bien fréquemment de rencontrer des différences de rédaction quant aux délais maximal de paiement : si la règle est que le délai maximal de paiement des dividendes de 9 mois, on peut trouver d’autres délais définis par le pacte extrastatutaire. Une telle contradiction est toujours regrettable et source de contentieux.

Répartition des dividendes entre les actionnaires

Le principe légal repris par les statuts est que les dividendes des actionnaires sont payés proportionnellement à la participation de chacun d’eux. Toutefois, il se peut qu’un pacte extrastatutaire limite la mise au paiement des dividendes en fonction de catégories d’actions, ce qui va évidemment à l’encontre du principe de proportionnalité édicté par la loi selon lequel les bénéfices et les pertes d’un actionnaire se font à hauteur de ses apports.

Les bénéfices des filiales

Un pacte extrastatutaire peut aller jusqu’à définir les règles de vote au sein de filiale de la distribution du bénéfice. Cette disposition heurte les principes généraux du droit selon lequel toute personne morale est juridiquement indépendante et autonome. Les filiales sont des sociétés jouissant de la personnalité morale et ayant un patrimoine et des organes exécutifs et de contrôle distincts de ceux de la société mère. La société mère n’étant qu’actionnaire de ses filiales ne peut pas décider du montant de distribution de son dividende par rapport aux bénéfices de ses filiales, la distribution se fait proportionnellement entre actionnaires par rapport à leurs participations. On comprend de ce type de clause qu’elles opèrent un véritable détournement de pouvoirs pour centraliser les décisions au niveau de la société mère uniquement. La contradiction du contenu entre statuts et pacte extrastatutaire est parfois aggravée par deux clauses redoutables, bien que présentant peu d’intérêt à première vue de l’actionnaire : celle du droit applicable et celle de la juridiction applicable.

Clause de droit applicable (droit étranger dans le pacte extrastatutaire vs droit marocain dans les statuts)

Il peut arriver que le pacte d’actionnaires prévoit l’application d’un droit différent de celui prévu aux statuts. En général, ce n’est pas par inadvertance que le pacte d’actionnaires prévoit l’application d’un droit étranger pour régir les termes du pacte alors que les statuts d’une société marocaine prévoient l’application du droit marocain. Les arguments des défenseurs du droit étranger sont que celui-ci peut parfois mieux réglementer des questions spécifiques qui ne sont pas prévues dans le droit marocain. En réalité, il s’agit de dispositifs souvent contradictoires avec le droit marocain, qui ont peu de chances de se voir valider par la juridiction étatique marocaine.

Clause d’arbitrage

Les pactes d’actionnaires incluant des actionnaires étrangers prévoient assez généralement l’application d’une juridiction arbitrale étrangère pour le règlement des litiges entre associés. Ceci pose un problème lorsque les statuts ne prévoient pas de clause d’arbitrage mais au contraire renvoie à la compétence de la juridiction étatique marocaine. La loi n°17-95 relative aux sociétés anonymes pose un principe simple de supériorité du pacte statutaire sur le pacte extrastatutaire. Toutefois, de nombreuses décisions de justice marocaines considèrent que le pacte d’actionnaires doit être considéré comme un contrat à part entière sans lien avec les statuts ce qui est juridiquement une erreur pour la raison simple qu’un pacte extrastatutaire est accessoire et dépendant du pacte statutaire et non l’inverse. Dans certains cas, une telle position revient à permettre au pacte extrastatutaire de faire perdre au pacte statutaire son rôle d’outil de gestion et ouvrir la voie de la prédation et des conflits qui en résultent en présence de règles contradictoires.
Les entreprises marocaines sont un patrimoine essentiel pour l’économie de notre pays. C’est pour cela qu’il est important que les dirigeants comprennent que les pactes statutaires et extrastatutaires doivent former un ensemble contractuel homogène et cohérent dans une optique de sécurité juridique des actionnaires marocains et de l’entreprise marocaine.

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