Nous avons pu lire sous la plume de l’Économiste du 03 aout 2007, il y 15 ans déjà, quelques informations au sujet d’une prétendue spoliation qui, à l’époque pouvait sembler faire sensation.
L’article pointait un spoliateur de nationalité marocaine et des victimes de nationalité française. L’article sur Internet étant toujours aussi vivace, le débat judiciaire à ce jour non clos, il nous a paru important de restituer quelques vérités tant les principes du droit en jeu sont importants.
Le texte publié par la presse énonçait ce qui suit:
« Un autre exemple de ces « exactions » concernant la villa d’une famille française, ayant vécu au Maroc entre 1950 et 1964, est tout aussi édifiant.
L’affaire qui remonte à 1981, et qui n’a toujours pas été tranchée en dépit de deux jugements condamnant le faussaire, pose un intéressant point de droit et de jurisprudence : la valeur de la bonne foi du deuxième acquéreur dans les transactions immobilières. Peut-on invoquer la bonne foi pour s’opposer à une condamnation pour escroquerie ?
Dans les faits, la famille G. avait acheté une villa sise boulevard Abdelkrim El Khattabi à Casablanca. Les héritiers M.C, B. et JM. Sont rentrés en France après le décès de leur mère en 1964. La villa « P. » était donc louée jusqu’en 1975. A partir de cette date, la villa est restée inhabitée et non gardée jusqu’en 1981.
Date à laquelle les héritiers G. apprennent que leur bien a été spolié par un certain M.T, qui a présenté à la Conservation foncière un acte de vente falsifié pour s’accaparer de la villa. Une plainte est alors déposée et, après plusieurs années d’enquête et d’instruction (le dossier est passé par les tribunaux de Casablanca avant d’atterrir à la Cour spécial de justice à Rabat pour implication d’un conservateur immobilier), le verdict tombe en 2001 : M.T est condamné à 4 ans de prison pour “délit de corruption, malversation, faux et usage de faux ».
Le conservateur est, quant à lui, suspendu de ses fonctions. Le TPI de Casablanca a repris le dossier et a rendu, en novembre 2002, un jugement prononçant la radiation de l’acte de vente inscrit à la Conservation foncière et l’expulsion de M.T de la villa, objet du litige.
En se basant sur ces deux jugements, les héritiers déposent alors, via leur avocat, une requête pour expulser le faussaire. M.T sort un autre tour de sa manche et présente un acte de vente du bien datant de 1982. Le nouvel acquéreur (C.G) est une française résidente au Maroc. Elle s’oppose donc aux G. en invoquant sa bonne foi lors de l’acquisition de la villa « P. » en 1981.
« La bonne foi peut être invoquée par l’acquéreur lorsqu’il arrive à prouver qu’il n’a pas été informé du faux et qu’il ne pouvait pas l’être au moment de l’acquisition », explique R.D. avocat au barreau de la métropole.
C’est d’ailleurs sur ce postulat que s’est basé le juge au TPI de Casablanca pour refuser la requête des G.. Reste que ces derniers n’ont pas tardé à découvrir que C.G n’est autre que l’épouse de M.T, le faussaire.
« Comment peut-on assurer, sous serment, qu’il est impossible de savoir l’origine douteuse d’un bien alors que le vendeur est l’époux de l’acheteur ? », explique R.D. Selon lui, le TPI aurait dû pousser l’analyse du dossier plus loin pour savoir s’il y a vraiment bonne foi ou pas.
« Dans ce cas d’espèce, il n’appartient pas aux victimes de l’escroquerie de prouver la mauvaise foi, puisqu’ils sont détenteurs de deux jugements prouvant le faux utilisé par le premier acquéreur », indique l’avocat des G. qui requiert l’anonymat. Celui-ci brandit un grand principe de droit suivant lequel, « tout ce qui naît d’un acte nul, est nul et non avenu ». « En partant de ce principe, les G. ont tout à fait le droit de demander la nullité de l’acte de vente transférant la propriété de la villa à C.G, l’épouse du faussaire », ajoute-t-il. Auquel cas, C.G disposerait d’un recours en dédommagement contre le vendeur.
Sur le plan civil, la défense des G. cite l’article 485 du D.O.C (Dahir des Obligations et Contrats). Selon cette disposition, la vente de la chose d’autrui n’est valable que si le véritable propriétaire la ratifie, ou si le vendeur acquiert la propriété du bien. Or dans ce cas d’espèce, aucune des deux conditions de cette disposition n’a été réalisée : le propriétaire n’a jamais ratifié la vente étant donné qu’il n’a même pas été mis au courant, et le vendeur n’est jamais devenu propriétaire de la villa puisqu’il a été condamné pour faux et usage de faux. »
Pour un lecteur non averti, ce narratif peut paraitre bien convaincant et pousser à l’indignation des faits supposés commis par le couple franco-marocain. Toutefois, la réalité n’est pas tout à fait celle présentée, ce que confirme au moins deux anomalies dans le texte. Reprenons!
- Premièrement, « les héritiers M.C, B. et JM. Sont rentrés en France après le décès de leur mère en 1964. La villa « P. » était donc louée jusqu’en 1975 ».
Première dissonance. Le lecteur connaît-il une personne qui décide de quitter un pays définitivement et qui met son bien en location sans impliquer un professionnel ?
Le lecteur sait que la location nécessite une vigilance de pratiquement tous les instants, que seul un professionnel est en mesure d’exercer. Or, point de professionnel nommé par la famille G. dans le cas d’espèce à une époque où les téléphones mobiles n’existaient pas.
- Deuxièmement, nous lisons : « à partir de cette date, la villa est restée inhabitée et non gardée jusqu’en 1981 ».
Deuxième dissonance. Le lecteur connaît-il un propriétaire qui ne gère pas la fin de location et qui ne prend aucune mesure à ce sujet ? Le lecteur comprendra que d’emblée, le narratif pose questions.
La réalité juridico-judiciaire n’ayant pas été complètement restituée.
Il convient de le faire ici...
Tout d’abord, l’affaire de la villa P. remonte en 1961 et non en 1981 avec la vente de la propriété par la mère des enfants pseudo spoliés, en date du 24 avril 1961.
L’acheteur inscrit le bien au nom de son fils MT, alors âgé de 15 ans. La maison est louée par le père de MT, jusqu’à ce que MT occupe la maison en 1981 avec sa future femme, française, à qui il va céder le bien le 13 décembre 1982.
La vie du couple franco-marocain va basculer avec un mandat de comparution délivré par le ministère public contre MT, le 24 aout 1998 et une action publique entamée contre lui pour une prétendue falsification de l’acte de vente signé par son père en 1961, alors qu’il n’avait lui-même que 15 ans.
Après une longue bataille judiciaire qui voit la justice annuler une vente entre le couple franco-marocain par un tiers à la vente -chose extraordinaire en droit- de surcroit pour un motif pénal, la solution arrive à l’issue d’un long parcours de 18 ans. En effet, en 2016, la cour de cassation du Royaume du Maroc rend un arrêt magistral qui considère que la vente signée entre les deux époux en 1982 est bien légale. A juste titre, la haute cour a considéré que les poursuites pénales au titre des accusations de faux prononcées en 1998 contre MT, ne pouvait concerner son épouse en 1982.
Revenons à l’exclamation qui a fait sensation :
« Comment peut-on assurer, sous serment, qu’il est impossible de savoir l’origine douteuse d’un bien alors que le vendeur est l’époux de l’acheteur ? »
La réponse est simple : en 1982, l’épouse ne pouvait savoir que le bien acquis auprès de son mari serait litigieux en 1998, soit 16 ans plus tard. Le principe de bonne foi prévu à l’article 477 du code civil marocain est clair : la bonne foi se présume toujours, tant que le contraire n’est pas prouvé.
Et qui aurait pu prouver qu’en signant en 1982 un acte de vente d’un bien appartenant à son mari, l’épouse était de mauvaise foi ?
Le lecteur comprendra que c’est tout simplement impossible.
Par conséquent, la cour de cassation avait parfaitement appliqué le droit en 2016. Il ne restait plus qu’à la cour d’appel en charge de rejuger l’affaire en suivant les orientations de la cour de cassation.
Toutefois, dans un stupéfiant arrêt n°3098/1 du 06 avril 2017, la cour d’appel ose ignorer l’arrêt de la cour de cassation et rejeter la demande, estimant que la connaissance par l’épouse du procès pénal était un motif de nullité de la vente.
Saisie de nouveau, la cour de cassation va effectuer un revirement digne d’un amateur d’ivresse.
Un arrêt de la cour de cassation n°7090/1/9/2017 en date du 01 Novembre 2018 vient confirmer le raisonnement de la cour d’appel et rejeter la demande de l’épouse.
Il faut ici oser l’interrogation : à quoi sert la cour de cassation ?
Sa vocation n’est-elle pas d’unifier le droit et de mettre fin à ces mouvements de balanciers qui projettent le justiciable dans l’incompréhension et l’insécurité ?
N’est-il pas que, lorsqu’une cour d’appel oublie la règle de droit, la cour de cassation est là pour le lui rappeler ?
Est-il acceptable que la cour de cassation puisse dire une chose et son contraire et de tolérer que la logique du droit et de la justice soit subitement inversée ?
Ou bien faut-il considérer que si le droit est un outil d’organisation de la société et un facteur de pacification, on ne peut admettre qu’il soit également utilisé à des fins de spoliation et d’enrichissement sans cause, à peine de tolérer l’instabilité judiciaire et la défiance du citoyen ?
CONCLUSION
Nous avons voulu rendre ici un hommage à MT, rappelé à Dieu à la veille de Noël de l’année 2021 et qui, avec son épouse, nous avait confié ce dossier en 2018.
Une affaire de spoliation consomme des vies, et, un cumul d’affaires de spoliation consomme la réputation de la justice d’un pays.
La cour de cassation doit avoir le courage de revenir à sa position de 2016.
Il y a urgence. Une demande cynique des pseudos spoliés contre l’épouse résidente au Maroc a conduit celle-ci à un procès en indemnisation pour l’exploitation de la villa P. qui s’est soldée par une condamnation de payer 2 millions de dirhams à des étrangers.
Non seulement l’épouse, après avoir choisi de vivre au Maroc, a dû se défendre toute sa vie durant, a investi en pure perte pour se retrouver chassée de sa maison, et maintenant elle devrait s’endetter pour se reloger puis indemniser les véritables spoliateurs? Ces derniers auront ainsi réussi, grâce à une poignée de magistrats marocains (voire d’autres complices), à vendre une deuxième fois un bien autrefois vendu par leur mère et consommer ainsi les devises de notre pays ?
Il n’échappera pas au lecteur attentif que la revente de la villa P., réalisée immédiatement après l’expulsion du couple spolié en 2018, ne pouvait être une vente conclue de bonne foi, dès lors que le débat judiciaire n’était pas terminé.
Reposons la question à l’endroit des vrais spoliateurs :
« Comment peut-on assurer, sous serment, que le vendeur est, en 2018, de bonne foi, alors qu’il sait que le débat judiciaire n’est pas terminé ? »
La plume d’humbles avocats ne plie pas : à ceux qui veulent porter atteinte au droit de la propriété au Maroc et piller les propriétés des Marocains, la cour de cassation du Royaume du Maroc doit envoyer un message clair et solennel et ainsi affirmer avec force, les principes sacrés de notre droit afin de maintenir la sérénité au sein de notre société.