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Séparation des biens: Alerte aux époux musulmans résidents à l’étranger

Il est de notoriété publique que le principe de séparation de biens érigé par la loi musulmane n’est plus un principe intangible au Maroc.

En effet, depuis la loi n°70-03 du 3 février 2004, les époux peuvent établir une convention matrimoniale qui a pour objet d’écarter le principe de séparation de biens (voir notre article « Le Contrat de Mariage et vous »).

Ce qui est moins connu, voire totalement ignoré, c’est que le principe de séparation de biens peut cesser de s’appliquer aux époux musulmans, sans qu’ils le sachent, avec toutes les conséquences financières que cela implique.

Ainsi, il suffira de l’absence de contrat entre époux mariés sous la loi musulmane au Maroc fixant la loi applicable au mariage et d’un déménagement du couple dans un pays de l’Union Européenne pour déclencher la mise à l’écart, sans le vouloir, du principe de séparation de biens.

Il arrive qu’un époux découvre à ses dépens, à l’occasion d’un divorce ou du décès du conjoint, que sous d’autres cieux, la seule forme marocaine du mariage conforme à un rite religieux musulman ne constitue pas une option expresse des époux pour le régime matrimonial marocain et qu’ il était essentiel de désigner par écrit la loi applicable au régime matrimonial et de ne pas se contenter du régime légal applicable par défaut dans le pays d’origine.

Deux textes, peu connus des juristes non européens, constituent la loi applicable en la matière, qui sont:

1. La Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux

Entrée en vigueur le 1er septembre 1992 en France, au Luxembourg et aux Pays-Bas, cette convention a la particularité de s’appliquer aux ressortissants d’Etats qui l’ont ratifié et, d’autre part, « même si la nationalité ou la résidence habituelle des époux ou la loi applicable (…) ne sont pas celles d’un Etat contractant » (article 2);

2. Le règlement européen (UE) 2016/1103 du Conseil du 24 juin 2016

Mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux.

La Convention de la Haye et le règlement UE 2016/1103 ne se cumulent pas. L’un des deux textes s’appliquera suivant que la date de mariage se situe avant ou après le 29 janvier 2019.

Ce que dit la Convention de La Haye du 14 mars 1978

Ce texte s’applique aux époux mariés entre le 1er septembre 1992 et le 28 janvier 2019 uniquement y compris à ceux mariés sous la loi musulmane et résidents ou ayant résidé dans un pays de l’Union Européenne.

L’article 4 de ladite convention énonce la règle suivante : « Si les époux n’ont pas, avant le mariage, désigné la loi applicable à leur régime matrimonial, celui-ci est soumis à la loi interne de l’Etat sur le territoire duquel ils établissent leur première résidence habituelle après le mariage. A défaut de résidence habituelle des époux sur le territoire du même Etat et à défaut de nationalité commune, leur régime matrimonial est soumis à la loi interne de l’Etat avec lequel, compte tenu de toutes les circonstances, il présente les liens les plus étroits. »

Autrement dit, le texte détermine la loi applicable au régime matrimonial lorsque les époux n’ont pas indiqué la loi applicable à leur mariage dans leur contrat de mariage ou dans un acte postérieur.

En outre, l’article 7 de la Convention énonce : « la loi compétente en vertu des dispositions de la Convention demeure applicable aussi longtemps que les époux n’en ont désigné aucune autre et même s’ils changent de nationalité ou de résidence habituelle. Toutefois, si les époux n’ont ni désigné la loi applicable, ni fait de contrat de mariage, la loi interne de l’Etat où ils ont tous deux leur résidence habituelle devient applicable, aux lieu et place de celle à laquelle leur régime matrimonial étaient antérieurement soumis. »

On relèvera la complexité de ces textes : tout d’abord la notion de résidence habituelle n’est pas définie, ce qui engendre des difficultés d’interprétation.

Ensuite, le texte prévoit un principe de changement automatique immédiat de loi applicable au régime matrimonial que l’on appelle « mutabilité du régime matrimonial».

A titre d’illustration, prenons deux époux mariés sous la loi musulmane avant le 28 janvier 2019 qui n’ont pas, avant le mariage, désigné la loi applicable à leur régime matrimonial (c’est normal, ils pensent que le principe de séparation de biens va s’appliquer par défaut toute leur vie et quel que soit leur lieu de résidence).

Supposons que le mari parte en France pour travailler.

  • 1ER CAS : sa femme reste au Maroc : les époux restent soumis au régime légal marocain.
  • 2eme CAS : sa femme le rejoint. Deux cas au moins se présentent :
    • Les époux ont chacun une résidence séparée : les époux restent soumis au régime légal marocain.
    • Les époux ont une résidence commune habituelle : la loi française s’applique, et le régime matrimonial applicable devient le régime de communauté de biens. Ainsi, le conjoint qui pensait être protégé par le principe de séparation de biens se retrouve contraint à les partager avec son ex conjoint à l‘occasion d’un divorce ou d’un décès.

Il faut savoir que le principe de mutabilité automatique a été abandonné en 2016, mais cet abandon n’a pas d’effet rétroactif. Ainsi, une population importante des époux mariés sous la loi musulmane reste concernée aujourd’hui par le principe de mutabilité automatique.

Ce que dit le règlement UE 2016/1103

Le règlement UE de 2016/103 s’applique aux époux mariés après le 29 janvier 2019. Il ne prévoit pas pour eux de système de mutabilité automatique. Les époux mariés après la date ci-dessus sous le régime du droit musulman et résidents dans les pays de l’Union Européenne sont également concernés par ce règlement.

Précisons que le règlement UE ne fait pas cesser le système de mutabilité automatique pour les époux mariés entre le 1er septembre 1992 avant le 29 janvier 2019.

Pour les époux mariés après le 29 janvier 2019 et qui ne sont plus concernés par la mutabilité automatique, la sécurité juridique n’est pas revenue pour autant.

En effet, le règlement prévoit que si les époux n’effectuent pas le choix de la loi applicable à leur régime matrimonial la loi applicable est par principe celle du lieu de résidence du couple au moment de son mariage, et quand bien même le couple choisirait ensuite de s’établir dans un autre pays.

Mais, un époux peut saisir un tribunal pour qu’il décide que la loi applicable n’est pas celle du lieu de résidence du couple au moment de son mariage.

Cela veut dire que le Règlement UE permet désormais une mutabilité du régime matrimonial non plus automatique mais judiciaire.

En conclusion, on constate que la population des époux mariés sous la loi musulmane est divisée en trois catégories :

  • Les couples mariés sous la loi musulmane au Maroc avant le 1er septembre 1992 ne sont pas concernés ni par la Convention de la Haye ni par le règlement européen 2016/1103 (ils sont soumis aux règles du droit marocain);
  • Les couples mariés entre le 1er septembre 1992 et le 29 janvier 2019 sont concernés par la Convention de la Haye ;
  • Les couples mariés après le 29 janvier 2019 sont concernés par le règlement européen 2016/1103.

Pour gérer cette complexité et assurer la sécurité juridique de leur patrimoine et de leurs engagements, il est possible pour les couples mariés depuis le 1er septembre 1992 de confirmer la loi applicable à leur mariage ou de la modifier. Ils peuvent choisir :

  • La loi de l’état dont l’un des époux a la nationalité au moment du choix de la loi applicable,
  • La loi de l’état sur le territoire duquel l’un des époux a sa résidence habituelle au moment de ce choix.

En résumé

Pour les couples mariés sous la loi musulmane depuis 1992 et déjà installés dans les pays de l’Union Européenne

Une convention doit préciser le choix de la loi applicable au mariage pour constituer une preuve irréfutable de la volonté des époux puisqu’il y a peu de chance que cette précision figure dans le contrat de mariage établi par les adouls au Maroc.

Pour les époux marocains résidents en France, cet acte prendra la forme d’un acte authentique reçu par un notaire français.

Le changement de loi applicable au mariage des époux prend effet à compter de l’acte notarié entre les époux et à l’égard des tiers, trois mois après les formalités de publicité. Il peut être rétroactif au jour du mariage.

Pour les couples envisageant le mariage régi par la loi musulmane au Maroc et une possible installation dans les pays de l’Union Européenne

Il est conseillé d’établir une convention matrimoniale concomitante au contrat de mariage, suivant laquelle les époux désignent de manière non équivoque la loi marocaine comme loi applicable à leur régime matrimonial.

La rédaction de la convention matrimoniale devrait être confiée à un expert afin d’éviter la remise en cause de la convention dans un pays de l’Union Européenne.

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